Et si le contenu de notre assiette nous contrôlait bien plus qu’on ne le pense ? Un nombre croissant de recherches scientifiques démontre que l’alimentation peut influencer l’humeur et les comportements humains, dont l’agression.
Ou encore: est ce que la malbouffe (sucre+gras) sont une cause ou une conséquence d’un mal-être, d’une dépression?
Mangeons-nous plus mal par manque de moyens financiers? Est ce que l’injustice de naitre dans un quartier « défavorisé » peut rendre dépressif ? La population violente est elle obligatoirement dénutrie (d’éléments vitaux, vitamines, probiotiques, acides aminés) et nourrie de « non-aliments »? Je suis issue d’un milieux normal, et mon addiction à cette malbouffe ne m’a pas rendue violente mais aurait bien pu m’emporter vers la dépression, si je n’avais pas trouvé le mécanisme. L’addiction est récurrente (alcool ET/ou malbouffe) chez nos concitoyens à problème.
Il existe aujourd’hui une expression consacrée dans les annales judiciaires pour désigner une plaidoirie peu convaincante : c’est une « plaidoirie Twinkie », du nom des biscuits très sucrés qui auraient été consommés par Dan White, auteur du double assassinat du maire de San Francisco en 1978 et de l’un de ses adjoints, Harvey Milk.
Lors du procès de Dan White, ses avocats ont avancé que les capacités cognitives de leur client étaient perturbées par la dépression dont il souffrait. Une preuve de cette dépression ? Il avait consommé beaucoup d’aliments riches en sucre durant la période qui avait précédé son geste. La presse et le grand public se sont scandalisés de ce que l’invocation d’aliments sucrés permit à l’accusé de bénéficier de la clémence des juges, comme si le sucre avait été une circonstance atténuante !
Alimentation et tendances dépressives
Commençons par évoquer les liens entre alimentation et humeur. De nombreuses données révèlent qu’en cas d’humeur dépressive, on a tendance à consommer des aliments « consolateurs » (sucre, chocolat, alcool, etc.).
Dans une étude réalisée par Tasmine Akbaraly, du Département d’épidémiologie et de santé publique du Collège universitaire de Londres, près de 3.500 personnes âgées de 35 à 55 ans ont été suivies pendant dix ans.
Deux types d’aliments ont été étudiés au moyen d’un questionnaire détaillé visant à suivre les habitudes de consommation de ces personnes : le type a, riche en légumes, fruits et poissons, et le type b, qui comprenait une importante proportion de produits frits et transformés, de produits laitiers riches en graisse et de desserts sucrés. Au bout de cinq ans, tous les participants ont rempli un autre questionnaire évaluant l’humeur et une éventuelle dépression.
Les résultats ont montré qu’une alimentation riche en graisse et en sucre (de type b) augmentait de 58 % les symptômes dépressifs par rapport à une alimentation intermédiaire. Au contraire, les personnes ayant une alimentation riche en fruits, légumes et poisson (de type a) avaient moins de symptômes dépressifs que la moyenne (26 %). Ainsi, l’alimentation joue un rôle dans certaines formes de dépression.
Selon les auteurs de cette recherche, plusieurs mécanismes expliqueraient la relation entre alimentation et dépression. Tout d’abord, les antioxydants, abondants dans les fruits et légumes, protégeraient contre la dépression. Ce serait aussi le cas de l’alimentation de type a en raison de la présence de folates dans les légumes verts (brocolis, choux, épinards, asperges, avocats) ou secs (lentilles, pois chiches).
Une étude réalisée en Finlande par Tommi Tolmunen, du Département de psychiatrie de l’Université de Kuopio, a mis en évidence qu’un régime pauvre en folates est lié à des symptômes dépressifs. On peut aussi invoquer les effets bénéfiques de la consommation de poisson, qui contient des acides gras essentiels (oméga 3). Ces derniers représentent une composante importante de la membrane des neurones, ils réduisent le risque cardio-vasculaire et ont des propriétés anti-inflammatoires.
Canettes de soda et agressivité
Et qu’en est-il de l’influence de l’alimentation sur les conduites agressives ? Comme les affects négatifs et la dépression jouent un rôle dans les violences, et que l’alimentation influe sur l’humeur dépressive, les aliments auraient un rôle dans les comportements violents. Plusieurs recherches ont établi que certaines personnes ayant des conduites agressives surconsomment des aliments sucrés.
David Hemenway, de l’École de santé publique de Harvard, a interrogé près de 1.900 adolescents âgés de 14 à 18 ans dans la région de Boston sur leurs habitudes de consommation et divers comportements, par exemple apporter une arme à l’école, être violent envers ses pairs, des membres de sa famille, sa petite amie (ou son petit ami).
Les résultats ont indiqué que parmi ceux qui consommaient une canette de soda sucré par semaine, 23 % apportaient une arme à l’école, 15 % avaient été violents envers leur partenaire au cours de l’année qui avait précédé l’enquête et 35 % l’avaient été envers leurs pairs durant la même période. Chez ceux qui consommaient 14 canettes par semaine, 43 % apportaient un couteau ou un revolver à l’école, 27 % avaient été violents envers un partenaire et 58 % envers des pairs. Les divers facteurs socio-économiques susceptibles d’influer sur le résultat (situation de la famille, attitudes parentales, quotient intellectuel) étaient contrôlés.
Toutefois, si cette recherche semble établir une corrélation entre une tendance à la violence et la consommation de sodas, elle ne permet pas d’établir un lien de cause à effet. Cette consommation de boissons sucrées n’est sans doute qu’un aspect d’un style de vie favorisant les conduites agressives.
Conservateurs et colorants alimentaires
Dans une autre étude, Simon Moore, de l’Université de Cardiff, a interrogé 7.000 personnes nées en 1970. Parmi celles qui avaient été à l’origine d’au moins un délit violent, 69 pour cent consommaient très fréquemment (presque chaque jour) des sucreries lorsqu’elles avaient dix ans. Bien sûr, l’interprétation reste délicate, et l’on ne peut à nouveau en tirer des relations de cause à effet. En revanche, selon Simon Moore, la consommation fréquente de sucreries favoriserait l’impulsivité, car elle correspond à une recherche de satisfactions immédiates.
On peut aussi considérer que cette consommation fréquente de sucreries traduit un attrait pour la junk food, qui favorise l’hypoglycémie. En effet, le glucose favorise la sécrétion d’insuline, laquelle, par un mécanisme de rétroaction, réduit la concentration sanguine de glucose. Ainsi, un excès de glucose entraîne une forte libération d’insuline et un risque d’hypoglycémie. Or une hypoglycémie favorise l’irritabilité et l’agression impulsive.
Nous l’avons souligné, ces études présentent une difficulté notable : elles ne permettent pas d’établir des relations de cause à effet. Toutefois, quelques expériences semblent confirmer l’effet de l’alimentation sur certains comportements. Ainsi, Donna Mc Cann et ses collègues, de l’École de psychologie de Southampton, ont donné à 153 enfants âgés de trois ans et 144 enfants âgés de 8 à 9 ans issus de la population générale des boissons comprenant un conservateur (benzoate de sodium) et divers colorants alimentaires (par exemple e102, e110, etc.) ou bien des boissons qui en étaient dépourvues. Ils ont ensuite mesuré l’hyperactivité de ces enfants au moyen d’évaluations faites par les parents et les enseignants. Les enfants de 8-9 ans ont également participé à un test mesurant leurs capacités attentionnelles.
Les résultats ont montré que les enfants ayant consommé la boisson contenant les additifs avaient des symptômes d’hyperactivité supérieurs. Cette étude, répondant aux critères des recherches scientifiques fiables, montre que les additifs alimentaires pourraient favoriser l’hyperactivité chez les enfants, une variable souvent liée aux conduites agressives.
Le menu des prisons : un facteur de prévention ?
D’autres recherches ont testé plus directement l’effet de l’alimentation sur les conduites d’agression. Dans une étude en milieu carcéral, Bernard Gesch et ses collègues, de l’Université d’Oxford, ont administré à 231 prisonniers incarcérés des compléments alimentaires comprenant entre autres des acides gras et des vitamines. Les résultats ont montré que ceux qui avaient reçu ces compléments commettaient 26 pour cent d’actes de violence en moins et que leur niveau d’agression après deux semaines avait diminué de 35 pour cent par rapport à ceux qui avaient reçu un placebo.
Une autre étude contrôlée plus récente réalisée par Ap Zaalberg, du ministère de la Justice des Pays-Bas, a montré que chez des prisonniers recevant des compléments alimentaires comprenant acides gras, vitamines, antioxydants et sels minéraux, les violences diminuaient de 34 %, alors qu’un même régime administré à des prisonniers du groupe témoins entraînait une diminution de 14 % seulement.
Toutes ces études suggèrent que l’alimentation peut avoir des conséquences sur les conduites agressives. Si l’on est en droit d’attendre de plus amples confirmations en France, il n’est pas superflu de commencer à regarder d’un peu plus près ce que l’industrie agro-alimentaire met dans nos assiettes.
Sources :
A. Zaalberg et al., Effects of nutritional supplements on aggression, rule-breaking, and psychopathology among young adult prisoners, in Aggressive behavior, vol. 36, pp. 117-126, 2010.
S. Moore et al., Confectionary consumption in childhood and adult violence, in British Journal of Psychiatry, vol. 195, pp. 366-367, 2009.
D. Benton, The impact of diet on anti-social, violent and criminal behavior, in Neurosciences and Biobehavioral Reviews, vol. 31(5), pp. 752-774, 2007.